La Cour suprême de l'Inde fait valoir les droits des femmes en déclarant inconstitutionnel le divorce instantané
Shayara Bano et autres c. Union indienne et autres, requête (C) no 118 de 2016
Shayara Bano a été mariée pendant 15 ans. En 2016, son mari a divorcé d’elle au moyen du talaq-e-bidat (triple talaq). Il s’agit d'une pratique islamique qui permet aux hommes de procéder de façon arbitraire et unilatérale à un divorce instantané et irrévocable en formulant le mot « talaq » (terme arabe pour divorce) trois fois en une seule fois sous forme orale, écrite ou, plus récemment, électronique. Mme Bano a fait valoir devant la Cour suprême de l’Inde que trois pratiques – le triple talaq, la polygamie et le nikah halala
(pratique exigeant qu’une femme marie un autre homme et divorce de lui de façon à ce que son ancien mari puisse se remarier avec elle après un triple talaq) – étaient inconstitutionnelles. Elle a fait valoir plus particulièrement que ces pratiques portaient atteinte à plusieurs droits fondamentaux reconnus par la Constitution de l’Inde (Constitution), notamment, par les articles 14 (égalité devant la loi), 15(1) (interdiction de la discrimination, dont celle fondée sur le genre), 21 (droit à la vie) et 25 (liberté de religion). Elle affirmait également que la non élimination de la discrimination de jure (de droit) et de facto
(de fait) à l’égard des femmes, notamment de la part d’acteurs non étatiques, porte atteinte, directement ou indirectement, non seulement aux droits les plus fondamentaux des femmes, mais aussi à leurs droits économiques, sociaux et culturels visés par des traités et des pactes internationaux.
Dans cette affaire, la Cour s’est penchée uniquement sur la pratique du triple talaq. En août 2017, la Cour a, par une majorité de 3 contre 2, invalidé la pratique du triple talaq. Deux des juges qui ont voté contre la pratique l’ont déclaré inconstitutionnelle tandis que le troisième s’est appuyé sur des précédents jurisprudentiels pour réitérer qu’une telle pratique était inadmissible en droit islamique.
Cette décision signifie que le triple talaq n’est plus légal nulle part en Inde. À la suite du jugement, et à sa propre initiative, le gouvernement a déposé un projet de loi érigeant le triple talaq en infraction pénale.
Les groupes de défense des droits des femmes et autres organisations de promotion des droits humains et de la justice sociale en Inde ont largement célébré ce jugement historique.
La Bharatiya Muslim Mahila Andolan (BMMA), organisation de masse en faveur des droits dirigée par une femme musulmane, et partie à la présente affaire, a réalisé une étude en 2015 qui a révélé que, du fait de cette pratique, des milliers de femmes se sont retrouvées dans la
misère, parfois sans abri du jour au lendemain avec leurs enfants. En Inde, différentes religions (par exemple, les communautés hindoues, musulmanes et chrétiennes) sont régies par leur propre droit personnel pour ce qui est des questions familiales, concernant, par exemple, la succession, les droits de propriété, le mariage, le divorce et ainsi de suite. Un analyste signale que « [l]e message sous-jacent de toutes les lois personnelles,
quelle que soit la religion, c’est que les femmes ne sont pas égales aux hommes. » Cette réalité empêche les femmes de réaliser leurs autres droits fondamentaux, concernant notamment le logement, la terre et les ressources en général. La décision est particulièrement importante car elle aborde une pratique relevant du droit personnel sous l’angle de l’égalité structurelle et dans le cadre des droits fondamentaux. Désormais, il sera possible, dans une moindre mesure, de mettre en question et contester
d’autres lois personnelles discriminatoires concernant les droits fondamentaux.
Comme l’a signalé une juriste qui est intervenue dans ce dossier, « [l]e plus important à retenir, c’est que cela a permis de libérer l'énergie de femmes musulmanes qui s’occupent de cette question depuis 25 ans. » Le dossier a été porté par un militantisme de base acharné et mené de front par des femmes touchées par la pratique, venant renforcer le dynamisme des militantes de la communauté musulmane œuvrant à la réalisation de différents droits
humains.
Si cette affaire représente une reconnaissance importante de l'expérience des femmes et une confirmation de leurs droits, les événements qui ont suivi nous rappellent qu’une stratégie soutenue de plaidoyer est nécessaire pour empêcher d'autres groupes de formuler des décisions en appui à leurs propres intérêts. L’Alliance nationale des mouvements populaires (NAPM selon le sigle anglais) fait ressortir cette tension en soulignant « … la propension de la classe dirigeante
actuelle ... à s'approprier… ce jugement et … s’en servir pour présenter la communauté musulmane comme rétrograde. » Par exemple, le projet de loi du gouvernement a été critiquée par certains analystes, qui affirment qu’il ne vise pas tant la justice de genre que la persécution politique d'une communauté minoritaire. La NAPM souligne également « la nécessité de
réaffirmer que le patriarcat doit être combattu à l’intérieur et dans l‘ensemble des religions et la réforme juridique doit aller dans ce sens, en consultation avec les femmes, [et que] [l]a diabolisation de religions minoritaires, suivant une approche majoritaire et autoritaire... sera mise en question par toutes les forces progressives. »
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