Une approche de la criminalisation de l'exposition au VIH fondée sur les droits humains
E.L. (femme) c. La République, (Affaire criminelle no 36 de 2016) [2016] MWHC 656
La requérante, E.L., mère de quatre enfants âgée de 26 ans et vivant avec le VIH, a été accusée et condamnée en première instance au titre de la Section 192 du Code pénal malawien pour s’être livrée illicitement (par négligence) à un acte susceptible de propager une maladie mettant la vie en danger. L’accusation a fait valoir que la requérante avait « illicitement, négligemment et sciemment » allaité le bébé de la plaignante, qui avait été laissé à sa charge. Au moment de l’incident, E.L. était
sous traitement antirétroviral (ARV).
Au procès, la requérante a plaidé coupable et a été condamnée à neuf mois de prison avec travaux forcés. Cependant, E.L. a par la suite fait appel de sa condamnation et/ou peine auprès de la Haute Cour du Malawi pour deux motifs : la Section 192 du Code est inconstitutionnelle car elle est vague et trop générale, et la condamnation était mal fondée car l’acte d’accusation était imprécis et l’accusation n’avait pas prouvé, hors de tout doute raisonnable, qu’il y avait bel et bien eu infraction aux termes de la disposition applicable.
La Cour a brièvement examiné le droit à la dignité (Section 19) et le droit au respect de la vie privée (Section 21) reconnus par la Constitution à la lumière du statut VIH et du traitement de la requérante présentés en cour comme élément de preuve. La Cour a précisé que, pour obtenir ces informations et les admettre comme éléments de preuve, la police et les tribunaux devaient prendre particulièrement soin de protéger les droits des personnes vivant avec le VIH (PVVIH).
La Cour a souligné que le système juridique malawien devrait garantir que les affaires criminelles portant sur la transmission du VIH devraient être conformes aux obligations internationales du Malawi en matière de droits humains. De plus, la Haute Cour a mis l’accent non seulement sur l’intérêt supérieur de l’enfant, mais aussi sur l’impact des peines d’emprisonnement sur les femmes ayant des enfants. Plus précisément, la Haute Cour a déclaré que « l’incarcération d'une femme avec son enfant devrait toujours être le dernier recours de tout
tribunal… ».
En conclusion, la Haute Cour a déclaré que « le procès en première instance comportait des irrégularités de procédure, dont une partialité flagrante », qui a donné lieu à une peine « nettement excessive », et statué que le droit de la requérante à une procédure régulière était compromis. Sur la base des droits constitutionnels et des principes fondamentaux du droit pénal, la Cour a déclaré la condamnation non fondée en droit et donc nulle, donnant lieu à la libération immédiate de la
requérante.
Un aspect important de cette affaire concerne l’effet néfaste des préjugés à l’égard des PVVIH dans le jugement de leurs causes et le droit à un procès équitable. De plus, la décision fait ressortir l’importance de protéger le droit des PVVIH à la dignité et au respect de la vie privée. Sur le plan de la procédure, il est révélateur que la Haute Cour ait rendu une ordonnance d’anonymat pour protéger les parties à cette affaire de tout autre divulgation non consentie de leur état de santé et de l’attention publique non
souhaitée. Faire face à la stigmatisation des PVVIH est essentiel à la protection du droit fondamental à la santé, particulièrement en ce qui concerne l'élément accessibilité de ce droit. Un rapport d’ONUSIDA publié en 2017 est très édifiant dans ce contexte.
Dans la présente affaire, la Haute Cour rejette l’application trop large du droit pénal à la non-divulgation, à l’exposition au risque de transmission et à la transmission du VIH. Le jugement apporte des indications essentielles sur les limites de l’application du droit pénal à des affaires concernant le VIH et fait ressortir la nécessité de fonder l’analyse judiciaire sur des données scientifiques et d’assurer clairement la conformité avec le cadre des droits humains. Cette approche fondée sur les droits pour évaluer l’application du droit pénal contre les PVVIH
est particulièrement importante compte tenu du contexte mondial actuel, caractérisé par une criminalisation généralisée de la non-divulgation, de l’exposition au risque de transmission et de la transmission du VIH. Le point de vue de la Cour s’aligne explicitement sur la position des Nations Unies voulant qu’une criminalisation trop large de la non-divulgation, de l’exposition au risque de transmission et de la transmission VIH est contraire aux recommandations de santé publique reconnues au niveau international et aux principes relatifs aux droits
humains.
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