Le Comité des DESC des Nations Unies traite de l'incidence du travail de soins non rémunéré sur l’accès des femmes à la sécurité sociale
Marcia Cecilia Trujillo Calero c. l’Équateur, CDESC, Communication 10/2015, Doc ONU E/C.12/63/D/10/2015 (26 mars 2018)
Marcia Cecilia Trujillo Calero a cotisé pendant 29 ans au régime de retraite de l’Institut équatorien de sécurité sociale (IESS). Des 305 cotisations qu’elle a versées, environ la moitié étaient des cotisations volontaires versées de 1981 à 1995, alors qu’elle se consacrait au travail de soins non rémunéré à la maison, s’occupant de ses trois enfants. Ensuite, Mme Trujillo a continué à cotiser au régime jusqu’en 2001, moment où le personnel de l’IESS l’a informée à plusieurs reprises qu’elle aurait
droit à une retraite anticipée si elle renonçait à son emploi alors rémunéré. Elle a par la suite démissionné et fait une demande de retraite anticipée.
Après une série de décisions administratives défavorables, l’IESS a rejeté la demande de retraite de Mme Trujillo, alléguant qu’elle n’avait pas le minimum requis de 300 cotisation car sa pause de dix-huit mois dans le versement de cotisations volontaires avait entraîné sa désaffiliation du régime de retraite et donc la nullité de toutes les cotisations volontaires qu’elle a versées ultérieurement. Mme Trujillo n’a été informée qu’en 2007 de ces décisions administratives rendues en 2002 et 2003. Essayant d'obtenir justice
auprès des juridictions nationales, elle a essuyé un refus chaque fois.
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (Comité) a conclu que l’Équateur avait porté atteinte au droit à la sécurité sociale (article 9 du PIDESC), à la non-discrimination (article 2(2)) et à l’égalité entre les sexes (article 3).
Le Comité a fait valoir que, si l’Équateur jouit d’une certaine latitude dans l’adoption de mesures visant à règlementer son régime de sécurité sociale, les conditions doivent être raisonnables, proportionnelles, claires et transparentes et être communiquées publiquement de façon opportune et suffisante. Il a de plus signalé que Mme Trujillo était vulnérable à des formes intersectionnelles de discrimination fondée sur le genre et sur l’âge, ce qui faisait que la réglementation et la conduite de l’Équateur devaient faire
l’objet d’un « niveau de contrôle particulièrement spécial ou strict ». Le Comité a signalé que les femmes représentaient la quasi-totalité des personnes se consacrant au travail de soins non rémunérés, qui pourraient être exclues de programmes de retraite soi-disant neutres qui ont été conçus sans les prendre en compte. Les cotisant-e-s volontaires, qui étaient surtout des femmes, étaient en position désavantageuse car elles devaient payer aussi bien leur part des versements mensuels que celle de l’employeur, même si elles n’avaient pas d’employeur leur assurant
un revenu fixe.
Le Comité a conclu que l’Équateur devait assurer une réparation à Mme Trujillo et empêcher que ne se reproduisent de telles violations. De plus, le Comité a déterminé que l’Équateur doit obligatoirement :
a) adopter des mesures législatives et administratives qui garantissent le droit de toute personne à solliciter, recueillir et recevoir des informations concernant leur droit à la sécurité sociale de façon opportune et adéquate ;
b) prendre les mesures nécessaires pour que les instances chargées de la sécurité sociale fournissent à toute personne des informations opportunes et adéquates ;
c) s’assurer que tous les règlements concernant la gestion de la sécurité sociale soient proportionnels et ne soient pas considérés comme un obstacle à l'obtention d'une pension de retraite ;
d) offrir en temps opportun des recours administratifs et judiciaires permettant de remédier aux violations ;
e) adopter des mesures spéciales concernant les femmes de façon à garantir l’égalité entre les sexes, dont des mesures visant à corriger les facteurs qui empêchent les femmes se livrant au travail de soins non rémunéré de cotiser aux régimes de sécurité sociale ; et
f) formuler, dans un délai raisonnable et au maximum de ses ressources disponibles, un régime complet de pension non contributive.
Cette décision est la première décision rendue par un organe de suivi des traités des Nations Unies concernant le lien entre le travail de soins non rémunéré et l’accès genré à la sécurité sociale. Ce faisant, le Comité a mis en avant une forte articulation du droit à la sécurité sociale et à l'égalité de fait entre les hommes et les femmes sur une question d'intérêt mondial.
La décision du Comité offre également un exemple paradigmatique de la manière dont une analyse intersectionnelle peut justifier un examen plus approfondi des sources potentielles de discrimination. Il en résulte une décision des Nations Unies qui qualifie une règlementation de soi-disant « neutre » en raison des préjudices discriminatoires qu'elle porte aux droits des femmes qui se consacrent au travail de soins non rémunérés. La décision représente ainsi une remise en cause des conceptions traditionnelles du travail prévalant dans les régimes de
sécurité sociale qui ne reconnaissent pas à sa juste valeur le travail de soins non rémunéré des femmes.
Un merci particulier au membre du Réseau DESC :Programme sur les droits humains et l’économie mondiale (PHRGE) de la Northeastern University.
Dernière mise à jour : 18 juillet 2018
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