L’ONU conclut que le refus d’accorder aux migrants irréguliers l’accès aux services de santé essentiels porte atteinte aux droits humains
Toussaint c. le Canada, CCPR/C/123/D/2348/2014, 2018
Nell Toussaint a contesté le refus par le Canada d’accorder aux migrants sans papiers l’accès à une couverture médicale au titre du programme de soins de santé pour les immigrantes et immigrants, appelé le Programme fédéral de santé intérimaire. Après avoir épuisé les recours internes, Toussaint a porté sa plainte devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (Comité)
Toussaint a déclaré que le Canada avait violé son droit à la non-discrimination (article 2.1, article 26) ; à un recours utile (article 2.3.a) ; à la vie (article 6) ; à ne pas être soumise à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 7) ; et à la liberté et à la sécurité de sa personne (article 9.1) aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte) en lui refusant, en raison de son statut migratoire irrégulier, l’accès aux soins nécessaires pour protéger sa vie et sa santé.
Le Canada a fait valoir que la plainte de Toussaint, contestant la loi afin d’assurer l’accès à une couverture médicale indépendamment du statut migratoire, était désormais sans objet car elle avait depuis obtenu le statut de résidente permanente et, par le fait même, une couverture médicale complète. Le Canada a également fait valoir que sa plainte constituait une action collective irrecevable, mettant en cause l’ensemble du système tel qu’il s’applique à d’autres, plutôt qu'une violation individuelle.
Le Comité des Nations Unies a souscrit à l’opinion de Toussaint et des organisations qui l’appuient, concluant que la requête n’était pas une action collective et qu’elle n’était pas sans objet. Le Comité a signalé que Toussaint avait été personnellement et directement touchée par la politique, et que les soins de santé qu’elle avait reçus par la suite ne réparait pas le préjudice qu’elle avait déjà subi. L’État a également fait valoir que son obligation avait été remplie grâce à l’existence de services de soins
d’urgence accessibles à tous, ainsi que de centres de santé communautaires et autres services offerts à titre gracieux. Le Comité a décidé que les soins d’urgence à eux seuls ne sont pas suffisants pour assurer la protection du droit à la vie, que le statut migratoire est un motif illicite de discrimination au titre du PIDCP et que le fait de refuser à des migrants irréguliers l’accès à des soins de santé nécessaires à la vie ne se fonde pas sur des critères raisonnables et objectifs.
Le Comité a conclu que Toussaint n’avait pas apporté de preuves suffisantes pour déterminer que ses droits avaient été violés au titre des articles 7 et 9(1) du Pacte. Le Comité a conclu que le droit de Toussaint à la vie et son droit à la non-discrimination avaient, toutefois, été violés au titre des articles 6 et 26 du Pacte, signalant que le droit à la vie est trop souvent interprété de façon étroite et qu’il ne peut pas être entendu dans un sens restrictif. Le Comité a rejeté l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteure revendiquait
en fait un droit aux soins de santé qui n’est pas inclus dans le PIDCP. Il a conclu que l’État partie avait l’obligation positive de protéger le droit de Mme Toussaint à la vie, ce qui, dans sa situation particulière, exigeait la prestation de soins de santé essentiels. Le Comité a affirmé que les États sont tenus à tout le moins, au titre de l’article 6, d’assurer l’accès aux services de santé existants qui sont raisonnablement accessibles quand l’absence de ces services exposerait une personne à un risque raisonnablement prévisible pouvant entraîner la mort.
La décision du Comité des Nations Unies impose au Canada 1) d’accorder à Toussaint une indemnisation suffisante pour le préjudice subi, et 2) de prendre des mesures pour éviter que des violations de cet ordre ne se répètent, notamment de revoir ses lois afin de garantir l’accès des migrants irréguliers aux soins de santé essentiels de façon à prévenir un risque raisonnablement prévisible pouvant entraîner la perte d’une vie.
Cette décision marque la première fois qu’un organe de suivi des traités des Nations Unies examine une situation où une personne au statut migratoire irrégulier se fait refuser l’accès aux soins de santé nécessaires à la protection de la vie. Le Comité a également affirmé que les États doivent prendre des mesures positives pour protéger le droit à la vie. La décision a fait ressortir l’interdépendance de tous les droits humains, en particulier la relation entre les soins de santé et le droit à la vie.
De plus, la prise en compte par le Comité des avis juridiques d’Amnistie internationale et d’une coalition d’organisations coordonnée par le Réseau DESC est un précédent utile dans la nouvelle pratique des organes de suivi des traités des Nations Unies voulant que les Comités puissent bénéficier de l’expertise et des arguments de diverses sources. Elle démontre également le pouvoir du travail collectif des organisations de la société civile.
Finalement, cette décision peut aussi être utile pour l’application de la nouvelle Observation générale du Comité, adoptée en octobre 2018.
Pour leurs contributions, un remerciement particulier aux membres du Réseau DESC : le Programme sur les droits humains et l’économie mondiale (PHRGE) de la Northeastern University et Social Rights Advocacy Centre (SRAC).
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