Des tribunaux font avancer la jurisprudence progressiste relative aux droits environnementaux
Nous assistons actuellement à une crise écologique qui va en s’aggravant, se manifestant notamment par la pollution toxique, les changements climatiques, la déforestation et la perte de biodiversité. Concernant particulièrement les changements climatiques, le CDESC a publié une déclaration en 2018, mettant en garde sur le fait qu’ils « menacent profondément la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels », et faisant ressortir le rôle essentiel des tribunaux et d’autres mécanismes des droits humains dans la lutte contre ceux-ci. Alors que des communautés touchées, des défenseur-e-s des droits humains et autres activistes de partout dans le monde luttent pour la justice environnementale et climatique, ce numéro de Justice-DESC examine quatre affaires qui font avancer la jurisprudence progressiste relative aux droits environnementaux. Bien que les affaires concernent des pays latinoaméricains, les enjeux étant d’envergure planétaire, les décisions présentent un intérêt pour toutes les juridictions.
La Cour interaméricaine des droits de l’homme (Cour IDH) a rendu un avis consultatif historique (OC 23/17) en 2017, faisant valoir que le droit à un environnement sain est un droit humain fondamental et exposant en détail les obligations des États qui ont causé ou pourraient causer des dommages environnementaux importants, dont des dommages transfrontaliers. La Cour IDH a expressément mentionné dans l’avis les changements climatiques, affirmant que le droit à un environnement sain est un droit à la fois individuel et collectif qui concerne les générations présentes et futures. En particulier, la Cour IDH a également fait référence aux obligations extraterritoriales, soulignant que les obligations des États en matière de droits humains s’étendent à toutes les personnes, même celles qui se trouvent en-dehors des frontières d’un État. L’Association interaméricaine pour la défense de l’environnement (AIDA), le Center for International Environmental Law (CIEL) et le Centro Mexicano de Derecho Ambiental (CeMDA), membres du Réseau DESC, faisaient partie des organisations qui ont fait part de leurs vues sur les questions juridiques examinées par la cour.
En ce qui concerne les dommages environnementaux transfrontaliers, une affaire importante a été tranchée en 2018 par la Cour internationale de justice (CIJ). Pour la première fois, elle a déterminé le niveau d’indemnisation pour des dommages environnementaux transfrontaliers. Ce faisant, la Cour a également mis au point sa méthodologie pour arriver à un niveau d’indemnisation approprié, reconnaissant la valeur des intérêts de la conservation et des services écosystémiques. La Cour a accordé au Costa Rica la somme de 378,890.59 USD en dommages-intérêts et en intérêts compensatoires et le Nicaragua a déjà versé l’indemnité.
Dans une autre affaire concernant la réparation de dommages environnementaux, s’agissant cette fois de la pollution du bassin de la rivière Matanza/Riachuelo, la Cour suprême de l’Argentine a pris note des problèmes de mise en œuvre de la décision de 2008 à ce sujet et, en 2016, a rendu une ordonnance détaillée pour assurer le respect de son jugement antérieur. Cette décision et le jugement original constituent un guide des mesures que les États peuvent prendre pour réparer le préjudice environnemental et prévenir d’éventuels dommages. Elles font aussi ressortir l'importance de leur application. Le Centro de Estudios Legales y Sociales (CELS) et l’Asociación Civil por la Igualdad y la Justicia (ACIJ), membres du Réseau DESC, sont intervenus dans l’affaire.
Dans le même ordre d’idées, Dejusticia, membre du Réseau DESC, a mené en justice, au nom de 25 enfants et jeunes, une affaire relative aux changements climatiques, faisant valoir que le gouvernement colombien n’avait pas réussi à remplir son engagement de réduire la déforestation en Amazonie conformément à ses obligations nationales et internationales, contribuant ainsi à accroître les émissions de gaz à effet de serre et menaçant le droit des plaignantes et plaignants à un environnement sain, à la santé, à l’alimentation et à l’eau. La Cour suprême a tranché en faveur des jeunes et des enfants, statuant que « le droit fondamental à la vie, à la santé, à la satisfaction des nécessités de base, à la liberté et à la dignité humaine est étroitement lié à l’environnement et à l’écosystème et déterminé par ceux-ci ». Elle a conclu que non seulement les générations futures peuvent déposer une plainte pour la protection de leur droit à un environnement propre, à la vie et à la santé, mais aussi que l’Amazonie colombienne est également une entité titulaire de droits. Dejusticia s’est fondé sur le raisonnement du jugement de la Cour IDH mentionné plus haut dans la défense de ce dossier. Il s’agit de la première action en justice en Amérique latine concernant les changements climatiques et les générations futures.
Ces décisions historiques mises ensembles démontrent l’impact dévastateur des dommages environnementaux et des changements climatiques sur la jouissance de divers droits humains et l’importance de solides mesures de protection de l’environnement. À eux quatre, les jugements apportent des précisions concernant les éléments normatifs des droits environnementaux, le sujet de ces droits, les obligations étatiques s’y rattachant (dont les obligations extraterritoriales des États) et les réparations appropriées dans de tels cas, notamment en ce qui concerne les dommages environnementaux transfrontaliers. Ce faisant, qu’elles aient ou non été abordées explicitement sous l’angle des droits humains, les affaires viennent renforcer la jurisprudence progressiste relative aux droits environnementaux et offrent aux défenseur-e-s des droits humains des outils permettant de faire avancer la conduite des litiges et le plaidoyer pour affirmer la justice environnementale et climatique. <0} Ces avancées illustrent également le pouvoir de l’action collective des communautés touchées et de la société civile.
Pour leurs contributions, un remerciement particulier aux membres du Réseau DESC : le Programme sur les droits humains et l’économie mondiale (PHRGE) de la Northeastern University, Dejusticia et la Due Process of Law Foundation (DPLF).
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