Décisions promouvant l'égalité de genre en matière d’héritage
Au cours des dernières années, plusieurs décisions ont fait progresser l’égalité de genre en matière d’héritage dans différents pays, notamment en Inde, en Tanzanie, au Nigéria (dans deux affaires) et en Afrique du Sud. Selon un rapport d'ONU-Habitat, « [l]
'héritage est l'un des moyens les plus courants permettant aux femmes d'acquérir ou d'accéder à des terres…. Cependant, la poursuite de l'égalité de genre dans les droits de succession est l'un des défis les plus difficiles des approches fondées sur les droits, en raison de la complexité ainsi que des caractéristiques patriarcales bien enracinées des pratiques socio-économiques, culturelles et religieuses. » Les femmes possèdent toujours moins de 20 pour cent des terres dans le
monde.
Dans la décision de 2018, Danamma Suman Surpur et autre c. Amar et autres, la Cour suprême de l’Inde a, pour faire respecter l’égalité de genre dans le droit successoral, statué que les filles avaient les mêmes droits de succession que les fils en ce qui concerne des biens collectifs ayant été divisés après la modification en 2005 de la Loi hindoue relative aux successions. La décision clarifie de manière catégorique la position juridique fondée dans la modification
de 2005 de la loi hindoue sur la succession, selon laquelle les filles ont désormais les mêmes droits que les fils en ce qui concerne des biens collectifs ayant été divisés après la modification de la loi, quelle que soit leur date de naissance.
En ce qui concerne la Tanzanie, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes s'est prononcé en 2015 en faveur de deux veuves, E.C. et S.C., qui, en vertu du droit tanzanien sur les successions, se sont vu refuser le droit d'hériter ou d'administrer la succession de leur défunt mari. Par la suite, elles ont été expulsées de chez elles avec leurs enfants mineurs par leurs beaux-parents. Dans sa décision, le Comité a
critiqué le droit patrilinéaire en matière de succession (succession de personnes apparentées par le biais de parents masculins) qui laissait E.S. et S.C. «économiquement vulnérables, sans propriété, sans maison avec leurs enfants et sans aucune forme d'aide financière ». Le Comité a souligné que l'égalité des droits des femmes à la propriété, à la gestion et à la jouissance de leurs biens est « essentielle à leur indépendance financière et peut être essentielle pour leur capacité de gagner leur vie et d’acquérir un logement et à une
alimentation adéquats, pour elles-mêmes et pour leurs enfants, en particulier en cas de décès de leur conjoint ». Le Comité a estimé que la Tanzanie avait violé plusieurs articles de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, notamment des dispositions relatives à l'égalité, en tolérant les restrictions légales en matière de succession et de droits de propriété discriminatoires à l'égard des femmes devant la loi [15 (1), 15 (2)], le droit aux prêts bancaires, prêts hypothécaires et autres formes de crédit
financier [13 (b)], et les mêmes droits pour les deux époux en matière de propriété, de gestion, d’administration et de jouissance des biens [16 (1) h)].
Dans l’ arrêt nigérian Mme. Lois Chituru Ukeje & Enyinaya Lazarus Ukeje c. Mme. Gladuy Ada Ukeje de 2014, la Cour suprême du Nigeria, dans une décision unanime, a confirmé que la loi de succession coutumière du peuple igbo, qui exclut les filles de la succession de leur père défunt, entrait en conflit avec les dispositions relatives à la non-discrimination de la Constitution nigériane de 1999, et était donc nulle. La Cour suprême a maintenu inchangée la conclusion des
juridictions inférieures voulant que la loi coutumière igbo qui retire à une femme le droit d'hériter des biens du père défunt est nulle du fait qu'elle entre en conflit avec le droit fondamental à la non-discrimination établi dans la section 42(1)(a) et (2) de la Constitution de 1999. Partant d’une interprétation littérale de la Constitution, la Cour a ensuite précisé que, quelles que soient les circonstances dans lesquelles un enfant de sexe féminin était né, un tel enfant avait droit
d'hériter des biens de son père décédé. Cela indiquerait qu'il importe peu que l’enfant de sexe féminin soit né hors mariage.
La Cour suprême du Nigéria a rendu sa décision dans l'affaire Ukeje v. Ukeje le même jour qu'elle l’a rendue dans l'affaire Anekwe v. Nweke, ce qui conteste le droit coutumier de la primogéniture masculine (le droit de succession appartenant au fils aîné) du peuple Awka au Nigéria. La Cour suprême du Nigeria a conclu que toute coutume qui prive les femmes, en particulier les veuves, de leur héritage est incompatible avec la justice naturelle, l'équité et la bonne conscience et est
condamnée par la Cour suprême.
Et l'arrêt Bhe v. Magistrate Kayelitsha & Ors. de la Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud en 2004 a concerné trois affaires connexes (Bhe, SAHRC et Shibi) sur lesquelles la Cour a statué en même temps. Dans la première action, le père des requérant(e)s, Nonkuleleko et Anelisa Bhe (âgées de 9 et 2 ans), était décédé et la mère (la troisième requérante) avait intenté une action en vue d'obtenir la propriété du défunt pour
ses filles. En vertu de la règle de primogéniture du droit coutumier africain ainsi que de l'article 23 de la Loi d’administration noire (Black Administration Act), la maison est devenue la propriété du plus âgé des parents du père, en l'occurrence le grand-père. La Commission sud-africaine des droits de l'homme (SAHRC) et le Women's Legal Centre Trust ont intenté l'action en justice dans l'intérêt public et en tant que recours collectif au nom de toutes les femmes et de tous les enfants se trouvant dans une situation similaire. Dans Shibi, une sœur s'est vu refuser le droit d'hériter des bien d’un
intestat décédé en vertu du droit coutumier africain. Dans les trois affaires, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle la règle de primogéniture du droit coutumier africain et a invalidé tout le cadre législatif régissant les successions de défunts de Sud-Africains noirs. Selon la Cour, l'article 23 de la loi était anachronique, car il érodait le droit coutumier «officiel» et violait de manière flagrante les droits des Noirs africains par rapport aux Blancs. S'agissant de la règle de droit coutumier relative à la primogéniture masculine, la Cour a estimé qu'elle constituait une
discrimination injuste à l'égard des femmes et des enfants illégitimes en raison de la race, du sexe et de la naissance. Le résultat de cette ordonnance était que toutes les biens successoraux devaient être régis, jusqu’à une nouvelle législation, par la loi de 81 sur la succession de l’intestat (Intestate Succession Act 81), qui permet aux veuves et aux enfants de bénéficier des avantages indépendamment de leur sexe ou de leur légitimité. La Cour a également rendu des ordonnances pour le partage des biens successoraux dans les cas où la personne décédée avait contracté un mariage
polygame et que plusieurs conjointes lui ont survécu.
Diverses études révèlent que le droit des femmes à posséder des biens, dont des terres, et à en hériter, est fondamental pour rompre le cycle de la pauvreté. Les mécanismes des droits humains et les organes des Nations Unies ont vivement recommandé que soit renforcé le droit des femmes à la propriété, à la terre
et à d'autres ressources en s’attaquant efficacement aux lois et aux pratiques discriminatoires. Les décisions exposées ci-dessus contestent des injustices si profondément enracinées.
Un merci particulier au membre du Réseau DESC: le Programme sur les droits humains et l’économie mondiale (PHRGE) de la Northeastern University.
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