Une famille de petits agriculteurs (campesinos) du Paraguay a adressé une requête au Comité des droits humains des Nations Unies affirmant que l’utilisation massive d’agrotoxiques avait entraîné l’empoisonnement de plusieurs résidents locaux et la mort de leur proche, Ruben Portillo Cáceres. Le Comité a conclu à des violations du droit des membres de la famille à la vie, au respect de leur vie privée, familiale et de leur domicile et à un recours utile, signalant que l’État n’avait pas assuré une réparation suffisante des préjudices qui en avaient découlé. Le 6 janvier 2011, l’agriculteur Ruben Portillo est mort sur le trajet d’un hôpital à un autre à la suite de fortes nausées et d’une forte fièvre causées par l’ingestion de produits agrochimiques (pesticides et insecticides). Vingt-deux autres membres de la Colonia Yeruticreadaen (« Colonia ») dans le district de Curuguaty au Paraguay ont souffert des mêmes symptômes en même temps.
La Colonia est habitée par de petits agriculteurs qui se consacrent à l’agriculture campesina pour leur propre consommation et pour la vente. Depuis 2005, les terres entourant la Colonia ont connu l’une des plus grandes expansions de l’agro-industrie au Paraguay, principalement la production de soja génétiquement modifié, qui demande beaucoup de fumigations agrochimiques. Le droit paraguayen exige que les agriculteurs qui utilisent des pesticides établissent des zones tampons autour des exploitations agricoles et des cours d’eau limitrophes, normes que l’agro-industrie n’a pas respectées. Les agriculteurs de la Colonia ont affirmé avoir connu tout un éventail de problèmes de santé, dont des maux de tête, des fièvres, des maux d’estomac et des lésions cutanées, depuis l’expansion de la production de soja.
L’État paraguayen a fait valoir que le PIDCP ne protégeait pas le droit à un environnement sain, de telle sorte que la plainte était inadmissible. Le Comité a conclu que les agriculteurs n’invoquaient pas une violation de leur droit à un environnement sain. Ils revendiquaient plutôt des droits énoncés dans le PIDCP et les requêtes étaient donc admissibles. Le Comité a examiné les contestations du Paraguay contre les allégations factuelles des agriculteurs. Le Paraguay a fait valoir qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour affirmer que la mort de M. Portillo et les autres maladies avaient été causées par l’utilisation de produits agrochimiques. Cependant, le Comité a fait observer que l’enquête criminelle avait révélé la présence de produits agrochimiques interdits dans un puits d’eau potable. De plus, le Paraguay n’avait pas fait l’autopsie de M. Portillo et n’avait pas intégré les échantillons de sang et d’urine dans le dossier pénal. L’État n’a jamais non plus apporté de preuves montrant que le niveau de produits chimiques présents dans le sang et l’urine des résidents était normal. En l’absence de preuves du contraire, le Comité a statué qu’il pouvait considérer que les allégations des parties plaignantes étaient fondées. Le Comité a également mentionné la vaste documentation qui fait état du danger que pose l’utilisation de produits agrochimiques pour la vie humaine.
Le Comité a conclu que le Paraguay avait porté atteinte au droit à la vie, rappelant « son Observation générale no 36, où il a établi que le droit à la vie concerne aussi le droit des personnes à vivre dans la dignité et à ne pas subir d’actes ni d’omissions qui entraîneraient leur décès non naturel ou prématuré ». Il a expliqué que les États doivent prendre des mesures positives pour faire face aux conditions générales de la société pouvant menacer la vie, y compris la pollution de l’environnement, même si elles n’ont pas encore mis fin à des vies. Dans ce cas, les fumigations massives constituaient des menaces à la vie raisonnablement prévisibles. Les fumigations menaçaient les cours d’eau, les cultures et les animaux que les agriculteurs utilisaient comme source de subsistance. De plus, le Paraguay a persisté à ne pas faire cesser les fumigations, même si plusieurs entités étatiques ont reconnu leur nocivité et l’absence de contrôle de celles-ci de la part des autorités. Le Comité a estimé que le Paraguay avait aussi porté atteinte au droit des plaignants au respect de la vie privée, familiale et du domicile énoncé à l’article 17. L’intoxication a eu des répercussions directes sur les cultures, les arbres fruitiers, le poisson, l’eau potable, la terre et d’autres aspects de leur vie. Compte tenu que ces agriculteurs tirent leur subsistance de la terre, leurs terres et les environs immédiats entrent dans le champ de protection de l’article 17 concernant la vie privée et le domicile. Finalement, la protection prévue à l’article 17 ne se limite pas à la protection contre l’intrusion. Les États doivent également respecter le droit à la protection contre des menaces raisonnablement prévisibles. Comme l’a conclu le Comité, « [q]uand la pollution a des répercussions directes sur le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile, et que les conséquences néfastes de cette pollution sont graves en raison de son intensité ou de sa durée ou de l’atteinte qu’elle porte à l’intégrité physique ou mentale, la dégradation de l’environnement peut nuire au bien-être des personnes et constituer une violation de la vie privée et familiale et du domicile ». Finalement, comme le Paraguay a omis de mener une enquête en bonne et due forme, d’intégrer les données médicales dans le dossier, de poursuivre en justice certaines parties, de faire cesser les fumigations et d’appliquer les conclusions des procédures judiciaires internes, l’État a porté atteinte au droit des parties plaignantes à un recours utile.
Cette affaire est particulièrement marquante en raison de la reconnaissance par le Comité des droits humains d’un lien explicite entre la protection de l’environnement et les droits humains dans un cas particulier, s’appuyant sur la jurisprudence connexe d’instances régionales. Le Comité s’est inspiré de sa récente Observation générale 36, réaffirmant le droit de vivre dans la dignité et signalant que « les États devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour faire face aux conditions générales de la société qui pourraient entraîner des menaces au droit à la vie ou empêcher des personnes de jouir de leur droit de vivre dans la dignité, conditions dont fait partie la pollution de l’environnement. » |